Facebook et les limites à la liberté d'expression
- 26 juin 2013
- Cabinet Dalila MADJID
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79 % des internautes français sont inscrits à au moins un réseau social, selon une étude Médiamétrie et 2/3 d’entre eux se connectent tous les jours. (Source : lexpansion.com)
Facebook est le premier réseau social en France.
Se pose le problème de l’utilisation de facebook par certains salariés pour critiquer leur hiérarchie et leur condition de travail.
Il y a lieu de rappeler que le salarié jouit de la liberté d’expression, garantie par l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et par l’article 11 de la Déclarations des droits de l’Homme et du Citoyen de 1789.
Et aux termes de l’article L. 1121-1 du Code du travail:
« Nul ne peut être apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives des restrictions qui ne seraient justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché. »
Ainsi, la liberté d’expression d’un salarié peut se traduire par la possibilité qu’il a de s’exprimer sur le travail qu’il effectue, de proposer des améliorations de ses conditions de travail, d’exprimer son opinion, de critiquer l’entreprise sur un lieu privé.
La liberté d’expression se concilie, bien évidemment avec l’obligation de loyauté inhérente au contrat de travail du salarié, qui se manifeste par un devoir de réserve, une obligation de discrétion et de non-concurrence envers son employeur.
L’avènement des réseaux sociaux et de Facebook en particulier, vient bouleverser le cadre juridique fixé par le célèbre arrêt Nikon, qui a permis de reconnaître aux salariés le respect de l’intimité de leur vie privée sur leur lieu de travail.
En effet, avec Facebook se pose le problème des propos tenus en dehors du temps de travail sur un ordinateur personnel et qui sont accessibles par un grand nombre de personnes, dépassant le cercle d’amis.
Depuis 2010, les juridictions se sont prononcées sur les limites de la liberté d’expression sur facebook et sur le caractère public ou non des propos tenus sur Facebook.
Pour beaucoup de juridictions, Facebook est un espace public.
1– Dans un arrêt de la Cour d’appel de Reims en date du 9 juin 2010, un journaliste avait été sanctionné pour avoir écrit sur le « mur » Facebook d’une amie des propos considérés comme injurieux et diffamatoires contre sa hiérarchie. La Cour d’appel a annulé l’avertissement en raison de l’ambiguité sur la personne visée. (le terme de « chef » permet difficilement d’identifier la personne visée).
La Cour, dans cet arrêt, reconnaît clairement le caractère public de Facebook, en déclarant : »Nul ne peut ignorer que Facebook, qui est un réseau accessible par connexion internet, ne garantie pas toujours la confidentialité nécessaire (…). Que le mur s’apparente à un forum de discussion qui peut être limité à certaines personnes ou non (…); en mettant un message sur le mur d’une autre personne dénommée « ami », il s’expose à ce que cette personne ait des centaines d’amis ou n’ait pas bloqué les accès à son profil et que tout individu inscrit sur Facebook puisse accéder librement à ces informations », « il ne s’agit pas d’une atteinte à la sphère privée au regard de tous les individus, amis ou non qui peuvent voir le profil d’une personne et accéder à son mur et aux messages qu’elle écrit ou qui lui sont adressés ».
La Cour d’appel précise que si le salarié « voulait envoyer un message privé non accessible à d’autres personnes que le destinataire ou quelques amis choisis, il pouvait utiliser la boîte mail individuelle de Facebook.(Cour d’Appel de Reims du 9 juin 2010, n° 09-3209 SAS l’Est Eclair c/Boris C).
2- Le 19 novembre 2010, le Conseil de Prud’hommes de Boulogne-Billancourt a validé le licenciement pour faute d’une salarié pour « avoir porté atteinte à l’autorité et à la réputation de sa supérieure hiérarchique ». Les propos tenus sur Facebook avec une personne qui « a choisi dans le paramètre de son compte, de partager sa page Facebook avec « ses amis et leurs amis », permettant ainsi un accès ouvert » n’étaient pas des échanges privés.
Le Conseil de Prud’hommes a considéré que « ce mode d’accès à Facebook dépasse la sphère privée ».(CPH Boulogne-Billancourt, 19 nov. 2010, n°10-853)
3- La Cour d’appel de Besançon, le 15 novembre 2011, a condamné une salariée pour avoir « tenu des propos diffamants, insultants et offensants » envers son employeur via Facebook, tels que « cette boîte me dégoûte (…) cette boîte de merde ».
Les juges du fond considèrent que le réseau Facebook « au regard de sa finalité et de son organisation, comme un espace public, qu’il appartient à celui qui souhaite conserver la confidentialité de ses propos tenus sur Facebook d’apporter de restrictions offertes par les fonctionnalités du réseau. (CA de Besançon, 15 nov. 2011, N°10/02642)
4- Le 17 janvier 2012, le Tribunal correctionnel de Paris , a condamné pour délit des propos tenus sur Facebook.
La Chambre correctionnelle du Tribunal de Grande Instance de Paris a condamné un représentant du personnel et un délégué syndical pour injure publique. Les propos tenus étaient les suivants: »journée de merde, temps de merde, boulot de merde, chefs de merde … ».
Les juges ont rappelé que, conformément à l’article 29 al.2 de la loi du 29 juillet 1881, l’injure se définit comme « toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait ».
Les juges ont précisé que « les expressions incriminés excèdent les limites de la critique admissible, y compris lorsqu’elle s’exerce dans un cadre syndical, par l’utilisation de mots ou de termes insultants ou injurieux voire vexatoires démontrant en eux-mêmes l’intention de nuire et portant clairement atteinte à la dignité des personnes ».
5- La Cour d’appel de Reims, dans un arrêt en date du 24 octobre 2012, considère que le seul fait de critiquer son employeur sur Facebook cause nécessairement un préjudice à ce dernier. Elle estime qu' »une telle attitude, incompatible avec les obligations d’un apprenti dans le cadre de son contrat est manifestement fautive et qu’elle a nécessairement généré un préjudice à l’employeur ». (CA Reims 24 oct. 2012 n°11/01249)
Dans cet arrêt, les juges se sont également prononcés sur l’existence d’un abus de la liberté d’expression du salarié.
6- La Cour de cassation, dans un arrêt en date du 10 avril 2013, n’était pas si tranchée sur le caractère public ou non de Facebook.
En l’espèce, une salariée de l’agence Century 21 avait publié des propos injurieux sur MSN et Facebook : »sarko devrait voter une loi pour exterminer les directrices chieuses comme la mienne »; « extermination des directrices chieuses », « éliminons nos patrons et surtout nos patronnes (mal baisées) qui nous pourrissent la vie! »; « Rose Marie motivée plus que jamais à ne pas me laisser faire. Y’en a marre des connes ».
Selon la Cour d’appel, les propos tenus par la salariée sur Facebook ne constituent pas une injure publique, car ils ne sont accessibles qu’aux seules personnes agréées par l’intéressé, en nombre très restreint, constituant une communauté d’intérêt. Son mur était ouvert à ses amis.
La Cour de cassation tout en déclarant l’absence d’injure publique, reproche, néanmoins à la Cour d’appel de ne pas avoir recherché si ces propos litigieux pouvaient être qualifiés d’injures non publiques. (Cass. 1ère ch. civ. 10 avril 2013 n°11-19530).
Dans cet arrêt, la Cour de cassation ne se prononce ni sur le caractère public ou non de Facebook, ni sur l’usage du pouvoir disciplinaire de l’employeur.
Pour conclure, les positions des juridictions divergent sur le caractère public ou non de Facebook, notamment la Cour d’appel de Rouen en date du 15 novembre 2011, n°11/01827 et n°11/01830, estime que Facebook doit être présumé comme étant un espace privé dés lors qu’il est utilisé en dehors du temps et du lieu de travail et en usant de moyens techniques dont il n’est pas allégué qu’ils auraient été mis à leur disposition par l’employeur.
Et en l’absence d’une position tranchée, il convient de constater que si les réseaux sociaux sont devenus de nouveaux moyens de communication, le salarié doit faire preuve de prudence, lorsqu’il tient des propos publiés sur un mur ouvert au public et sur un mur ouvert qu’aux seuls amis. Même dans ce dernier cas, il n’est pas certain que la confidentialité soit assurée.
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